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Épilogue

(inachevé)
     I hate war as only a soldier who has lived it can, as only 
     one who has seen its brutality, its futility, its stupidity.
     Général "Ike" Eisenhower.

Paris est libéré depuis neuf mois. Les Résistants pullulent: qui eût cru, trois ans plut tôt, qu'il y en avait tant? Résistant est un titre accueillant. Il s'applique aussi bien a l'hurluberlu de 1940, qui a voulu continuer à se battre - alors que les gens sensés savaient bien que les Chleuhs avaient gagné la guerre - qu'au héros qui s'est réveillé à temps pour couper les cheveux des filles à la Libération.

Maurice Yahiel est mort à Nordhausen. Suzanne Poncet a été libérée de Fresnes, malade, pour aller mourir chez elle. Michel (Maurice Montet) vient de rentrer d'Allemagne sur une civière, la peau et les os, et se trouve à l'hôpital de la cité universitaire. Raymond Fassin est mort. René Bigot est mort... Jean Moulin serait mort aux mains des Allemands. Jean-Louis Mérand n'est pas rentré d'Allemagne.

Hugues de Lestang n'a pas été pris, ni Daniel Cordier. Marius (Basso Vanni) est rentré d'Allemagne.

Je suis las. Asthénie, dit le toubib.

Visite au BCRA: "Tiens! On te croyait mort![1]" Bureaux à ronds-de-cuir confits dans la fumée de tabac. Une petite démonstration de plaisir de voir un de leurs agents rescapé? Non: nous sommes en Mai 1945, et cela fait déjà longtemps que l'on voit des déportés, des tas de cadavres...

Visite au Trésorier-Payeur. Sept mois de mission, treize mois de prison et de camp de concentration, ça fait vingt mois à une livre dix shillings par jour: c'est à Londres que je me suis engagé aux Forces Aériennes Françaises Libres et ma solde est payable en Angleterre, en sterling.

Le chèque que l'on me présente est libellé en francs français, mes livres sterling ont été échangées au taux officiel, une fraction de leur valeur: arnaque sans vergogne. Ma protestation n'a aucun effet. Je suis trop las pour crier au scandale et ameuter les populations. Je perds plus de la moitié de la valeur de ma solde.

On m'offre des titres de transport: je peux voyager et essayer de retrouver des amis. A Lyon, Simone Dupont m'héberge. Je lui aurais bien fait l'amour, je crois qu'elle n'était pas contre: Hélas, j'étais trop las.

Visite aux parents de Suzanne... Comment exprimer ce chagrin...

Je suis aussi allé voir les parents de CYPRIEN, René Bigot. Comment leur dire ce que c'était...? Ajouter à leur peine la description de l'horreur absolue de cette manière de mourir... L'injustice criante d'être vivant devant eux... Pourquoi lui, pourquoi moi...? Je n'ai pas eu le courage, la force, d'aller les revoir. J'en pleure de rage et de chagrin encore aujourd'hui en écrivant ceci.

A Londres, je vais assister au mariage de Kay Moore et de Charles Gimpel, lui aussi de retour d'Allemagne, bien fatigué. J'y retrouve toutes sortes d'amis: Alison Grant, Mary Mundle, Mary Greey, Valerie Swaine, Arthur Kellars, O'Bryan-Tear, etc..

Retour à Paris. Un jeune officier dans un bel uniforme, dont il a l'air content, qui a dû lui coûter la peau des fesses au marché noir, me dit: "La guerre continue en Indochine. Vous porteriez-vous volontaire?" - "Non. Je viens de passer cinq ans à chasser les Chleuhs de chez moi, c'est pas pour aller jouer l'occupant chez les autres." Ça a jeté un froid.

Toujours cette lassitude...

Il va falloir que je gagne ma vie. Rester militaire? Ça n'est vraiment pas ma tasse de thé.

Démobilisé, il faut me démerder. Il existe bien diverses filières: universités, formations professionnelles. Il y a partout des queues interminables de Résistants pleins d'énergie: après plusieurs longues journées d'attente vaine, il est évident que je suis trop las pour gagner un prix dans cette course.

Maurice Grammont - un des successeurs de Daniel Cordier au Secrétariat - me signale que UNRRA, un organisme des Nations Unies qui secourt les réfugiés, prisonniers, anciens concentrationnaires, etc., encore en panne sur le territoire du Reich, embauche.

Quoi? Retourner en Allemagne! Le temps passe et il semble que ce soit la seule chose à ma portée. Il faut m'habituer à l'idée. Il me faut aussi un certificat médical. Le médecin que je consulte est dubitatif. Je lui explique que j'en aie besoin. Il me le rédige. Les volontaires pour aller en Allemagne ne sont pas nombreux. UNRRA m'accepte.

Rue St. Dominique, un jour, je croise un jeune et fringant sous-lieutenant, qui m'interpelle: "Alors, on ne salue pas?" Bien sûr, je suis vêtu d'un battledress kaki, mais sans képi ni bonnet de police, et l'étiquette sur mon épaule est claire: UNRRA, donc civil. Je lui explique la situation. C'est un militaire normal: il ne comprend rien. Et il insiste pour que je le salue. Je lui dit d'aller se faire voir.

Allemagne.

Deux ans à Hanovre et alentour, à achever de comprendre l'absurdité de la guerre, et de la haine anti-allemande qui m'étouffait à mon arrivée. Ces souffrances invraisemblables infligées aux gens au nom de l'imbécilité des politiciens, de la bonne gestion des usines d'armement, et de l'honneur des militaires.

Nord Express.

Permission: quinze jours à Paris. On m'offre d'y aller par le Nord-Express, train de luxe dont le service, entre le Danemark et Paris, vient d'être rétabli. C'est à Osnabrück que je dois monter à bord . Magnifique train de Wagons-Lits. J'y trouve une cabine ample, tout en acajou, chaude, bien éclairée, lit avec couvertures rouges et draps blancs, cabinet de toilette, eau chaude, eau froide, pour moi tout seul.

Une grande fenêtre donne sur ce qui fut la gare C'est à présent un tas de gravats Au loin s'étend la ville effondrée. Sur le quai rafistolé, une foule de femmes, d'enfants, d'hommes - souvent avec des pansements qui cachent une plaie, un morceau de corps manquant - hâves, sales, habillés de loques, entourés de pauvres balluchons. Attendant dans le soleil couchant un train aléatoire... Ils voient par cette même fenêtre le luxe arrogant du wagon-lit, et ce membre des troupes d'occupation, propre et bien nourri, qui s'installe dans le confort.

Je sais. Il n'y a pas si longtemps, je leur ressemblais. Les voir dans un état semblable ne m'apporte rien.

Deux ans ont passé. UNRRA n'a plus besoin de mes services. J'ai une envie folle de vivre à la campagne, de paysages sans murs, d'horizons sans humains. Je prends en métayage une des fermes des parents d'Hugues. Je demande la main de Kitty Earp, belle, intelligente, peintre, de qui je suis tombé amoureux lorsque je l'ai rencontrée chez Mary Greey à Londres.

Le rêve s'écroule: coincé entre les exigences de ma propriétaire, la procrastination du Crédit Agricole, l'inflation galopante et mon manque de connaissances de l'agriculture berrichonnes. J'ai beaucoup à apprendre!.

Le Volendam est un paquebot hollandais aménagé pour transporter de grandes quantité d'émigrants: j'ai une couchette dans une cale que je partage avec une centaine de voyageurs, et Kitty partage le luxe d'une cabine avec seulement vingt femmes. Dans la nuit, le navire remonte lentement le Saint-Lawrence, l'air est chaud, porteur de l'odeur résineuse des forêts de pins qui s'étendent sur les deux rives. Dans le ciel: une aurore boréale. Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau. Quel accueil pour mon arrivée dans le Nouveau Monde!

Au matin, débarquement à Québec. Train de nuit jusqu'à Toronto: ils ont des couchettes assez larges pour y dormir à deux! Le frère de Kitty nous attend

note

      Annexe 1 (remerciements)

(Copyright (c) Maurice de Cheveigné)