Raymond Fassin nous appelle à Paris, Gries et moi. Les voyages en train sont pleins d'imprévus. L'exactitude de la SNCF n'est plus ce qu'elle était, avec tous ces terroristes qui abîment les rails, et ces aviateurs qui prennent les locomotives pour des pigeons.
Notre patron veut établir un contact entre nous et SECNORD, le secrétariat de la Délégation en Zone Nord. Grands sourires jusqu'aux oreilles! Le secrétaire est, bien sûr, toujours Daniel Cordier. Tous les quatre, nous sommes de l'époque de la France Libre, avant qu'elle ne devienne la France Combattante, et bien contents de nous retrouver. Petit repas de marché noir dans un des "points de chute" de Cordier, un studio au 36 de l'avenue Junot, à Montmartre. On dit pis que pendre de tous ces résistants tardifs récemment montés à bord - et on regrette le bon vieux temps où l'on ne côtoyait dans la clandestinité que des hurluberlus de bon aloi.
Retour à Landrecies. Deshayes m'amène un radio à mettre au courant. C'est un excellent opérateur, ancien de la Marine Nationale. Nous allons à Maroilles, chez Georges Hazembre, passer quelques télégrammes. Londres l'accepte aussitôt[34]. Il est arrêté peu de temps après, avant d'avoir pu prendre son service. On ne sait pas pourquoi[35].
Délire de rond-de-cuir londonien: on m'annonce la visite d'un Inspecteur des Transmissions! Les gros défauts de nos organisations clandestines amateurs sont déjà un cloisonnement insuffisant, une tendance à la bureaucratie centralisatrice, causes de saisies d'archives et d'arrestations en dominos, et voilà qu'on nous envoie un monsieur qui va se promener d'un opérateur à l'autre pour examiner - puisqu'il est inspecteur - les façons de travailler, et établir un rapport sur ce qu'il a vu, et sans doute en garder le double dans le tiroir de sa table de nuit... Il faudra que je fasse un effort pour ne pas être insolent envers M. l'Inspecteur.
Les arrestations de Maubeuge font tache d'huile. Les Allemands auraient saisi une liste des membres de l'OCM, légèrement codée, auraient trouvé enfantin de la mettre en clair: toute la Gendarmerie de Maubeuge, et plein de membres de l'OCM en taule.
Gymnastique.
ALERTE! Une voiture allemande s'arrête devant la maison du vétérinaire. Trois hommes en descendent, manteau de cuir verdâtre, feutres sur les yeux, pénètrent dans le jardin, frappent à la porte. Avec toutes les arrestations récentes, les nerfs sont à fleur de peau. Je glisse mon pistolet dans ma poche - je suis le seul "étranger" dans la maison aujourd'hui - et je sors sans bruit par la fenêtre qui donne sur le jardin du voisin, pendant que le docteur Robert ouvre sa porte aux Chleuhs. Je saute sur le toit d'une petite cabane accotée au mur mitoyen.
Je sais à présent ce qu'est le fibrociment: c'est un truc qui s'effondre lorsqu'on saute dessus. Je me sens tout bête au milieu des outils de jardinage, la porte est fermée à clef. Rétablissement sur le toit percé. Personne ne m'a vu. Je saute dans le jardin.
Mon pistolet? Ma main ne rencontre que ma fesse. Cette gymnastique l'a fait tomber hors de ma poche. Il est maintenant par terre à l'intérieur de la cabane. Aller le chercher? Rien ne permet l'escalade facile. Choix: 1) perdre du temps, faire du bruit, mais avoir un pistolet dans la main; ou 2) filer tout de suite, sans bruit, mais désarmé...
J'opte pour la fuite, moins héroïque mais plus discrète et efficace, qui va me permettre de chercher de l'aide, et de mettre à l'abri la pièce de valeur que je suis: ça coûte cher, un agent parachuté, surtout s'il sait faire quelque chose comme le sabotage ou la radio!
Je cours à ras de la haie. Au fond du jardin: une autre haie, transversale celle-là, aussi haute que moi. Je saute et roule par dessus. C'est la première fois que j'ai l'occasion d'utiliser cette façon de franchir un obstacle, enseignée à l'entraînement. Encore une haie transversale, sur laquelle je roule, et puis une autre. Maintenant le pré s'étend jusqu'au canal. Je suis hors de vue de la maison.
Je reprends mon souffle. Je marche jusqu'au canal, que je suis en direction d'Ors. Voici le siphon saboté, où s'affairent quelques ouvriers sous l'oeil d'une sentinelle allemande. En passant, je dis bonjour bien poliment. J'arrive chez Edmond Charpentier, qui m'escorte jusque chez Henri Godard.
Je retourne, avec précautions, armé à nouveau, accompagné des autres, chez Roger Robert. On s'arrête à la gare de Landrecies, juste en face, pour observer la maison. Les abords sont libres.
Il semble que la panique n'était pas justifiée. Les Allemands apportaient un morceau de viande et étaient venus demander au vétérinaire si le sanglier qu'ils avaient tué dans la forêt de Mormal lui semblait propre à la consommation. Ils étaient repartis, apparemment satisfaits des affirmations du Dr Robert: c'était bon à manger. Et le voisin, bien gentiment, sans rouspéter pour le toit percé de sa cabane, avait rapporté le pistolet qu'il avait trouvé parmi ses outils.
Hum. Ouais. Peut-être. Les Chleuhs s'agitent quand même beaucoup. Et si le sanglier n'était qu'un prétexte pour venir jeter un coup d'oeil sur les lieux?
Chaque jour apporte son lot de nouvelles arrestations. On a l'impression d'un filet qui se resserre. Toutes les nuits nous dormons ailleurs. Michel Gries et moi, on trouve la situation bien périlleuse, et on décide d'aller consulter notre patron. Mon dernier télégramme s'envole le 21 décembre.
Pour retrouver Raymond Fassin, il faut passer par Daniel Cordier, qui nous héberge dans son atelier glacé de l'avenue Junot, à Montmartre: pas de chauffage, mais Simone, son courrier, a trouvé une boîte de foie gras et une bouteille de champagne. On réveillonne ensemble. Le cloisonnement, c'est bien, mais c'est parfois bien lent. On n'arrive pas tout de suite à prendre contact avec Fassin.
Je rentre à Landrecies le 30 décembre, où l'atmosphère est toute d'inquiétude, en partie à cause des soupçons qui se portent sur Henri Plantin, le courrier de l'OCM. Grand, mince, brun, avec une petite barbe pointue qui allonge encore le triangle du visage, culottes de cheval, toujours chaussé de bottes brillantes, prenant grand soin de son image. L'air dynamique, il parcourt le pays pour l'OCM. Dans l'atmosphère tendue créée par les arrestations, il est devenu l'objet de soupçons. Son comportement semble parfois curieux, ses absences mal justifiées, ses explications pas tout à fait satisfaisantes. Certains suggèrent qu'on le supprime. Il me semble peu probable qu'un jeune homme d'une intelligence normale passe ainsi aux côtés des Allemands alors que ceux-ci sont en train de perdre la guerre!
Tout de même, histoire de changer de fréquences, d'indicatifs d'appel, et d'heures de rendez-vous avec la Home Station, je mets en route un nouveau plan: TRIANON NOIR. Roger Robert et moi allons coucher tous les soirs chez Henri Godard. Madame Robert va dormir avec Jean-Claude, son fils, chez les Plaisin. Cette situation ne me plaît pas. Il est absurde pour un radio de travailler dans ces conditions. Je passe les trois derniers télés reçus de Deshayes le 7 janvier 1944, et je prends le train pour Paris.
Sicherheitsdienst.
Le 8 janvier 1944[36], aux premières heures, à Landrecies, le SD frappe[37]. Henri Plantin s'est vendu aux Allemands et il a dénoncé Roger Robert et les siens. Henri, notre compagnon, notre commensal, pour du fric, a donné ses potes à la gestapo[38].
Henri Godard, essayant de fuir, est abattu devant sa femme Hermance, et devant son fils de douze ans. Elle est arrêtée[39]. Roger Robert [40], qui dormait chez eux, aussi. Et Raoul Legrand[41] leur commis. André Godard[42] est pris dans sa ferme de la Groise, et je ne sais combien d'autres.
Léon Henniaux[43] dort à Landrecies dans la maison du vétérinaire. Une brique lancée à travers la fenêtre le réveille à 3 heures du matin. Une vingtaine d'Allemands sont devant la porte. Il leur dit qu'il descend ouvrir, et va vers l'arrière avec l'intention de sauter et s'échapper. Il voit au clair de la lune que la maison est cernée. Les Chleuhs l'arrêtent, mais ils laissent tranquille la mère de Roger Robert qui dormait aussi dans la maison.
Madame Robert et son fils Jean-Claude, qui avaient eu l'esprit d'aller dormir chez les Plaisin, s'échappent avec Paulette, et s'en vont à Paris. Paulette et Michel Gries, qui s'entendaient bien, s'y retrouvent: ainsi nous apprenons la catastrophe.
Il n'est plus question de retourner à Landrecies. Le 15 janvier, enfin, Gries et moi retrouvons Fassin. Il est bien content que nous soyons sortis à temps de ce guêpier, mais il est toujours aussi amer et furieux de ne recevoir quasiment aucune aide des diverses organisations censées le soutenir - Mouvements de Résistance, BOA Nord, etc.. -
Pas de recrues pour les équipes de sabotage ou pour les réseaux radio, pas d'emplacements pour les émissions ou pour apprendre le maniement des armes, pas de matériel[44]. Les courriers vers Londres ont de tels retards qu'ils perdent leur utilité. Pas d'argent non plus: Fassin est obligé d'emprunter.
Pas même de logement pour Michel Gries et moi: nous habitons chez Daniel Cordier, qui est bien bon d'ajouter aux siens les risques que cela comporte. L'excellente organisation du docteur Robert dont nous avons bénéficié à Landrecies - au service du BOA - n'a son équivalent nulle part ailleurs, semble-t-il... Ça me rappelle étrangement les difficultés logistiques du Secrétariat de Lyon, lors de ma première mission[45].
Michel Gries, le saboteur-instructeur, est aussi frustré que Fassin et moi de ne pas pouvoir travailler. Fin janvier il a enfin un contact, par le BOA. Un chauffeur d'une entreprise de Pompes Funèbres et son groupe voudraient faire sauter une écluse de canal.
Michel constate que l'écluse débouche sur un cul de sac, il n'a pas le coeur de décourager leur bonne volonté en faisant des remarques sur le peu d'utilité de l'opération. Il faut attendre le matériel nécessaire. Avant qu'il n'arrive, les Allemands troublent la fête. Arrestations. Michel Gries se dégage et rentre à Paris.
Encore un tuyau, à St Quentin cette fois-ci. Il paraît qu'il y a là une équipe bien organisée et qui n'est rattachée à aucun Mouvement. Las! Michel découvre que son contact est parti pour le Massif Central, sans dire quand il rentrerait. Retour à la case de départ [46].
Le Broadcast de Janin fonctionne bien. Son service, uniquement d'écoute, ne fait courir presque aucun risque à ceux qui l'hébergent. Les télégrammes qu'il reçoit viennent de Londres.
Leur décodage révèle parfois des textes étranges: certains contredisent les précédents, d'autres donnent des instructions absurdes[47]. Fassin à Londres,1.1.44: "...je ne comprends pas le sens de votre câble envoyé à Janin dans lequel vous lui dites de se considérer aux ordres de Cheveigné. Ceci me semble contraire aux instructions reçues lors du départ. Aucun contact n'existe entre Janin et Cheveigné et il me semble que c'est très bien ainsi."
On reçoit des répétitions lassantes de consignes évi-dentes, simplistes: Londres à Fassin, 7.3.44: "...conservez règles de cloisonnement..."
Au début de janvier, Raymond Fassin me montre un télé reçu de Londres: ils se disent mécontents de moi - Deshayes s'est plaint - et ils demandent à Fassin de m'engueuler. Ils annoncent une enquête de l'inspection des Transmissions. On se regarde. Qu'est-ce encore que cette histoire?
Entrevue avec l'inspecteur des Transmissions Fleury. Fassin lui explique: 1) Je suis le radio de sa mission, et non pas celui de Deshayes. 2) Il est satisfait de mon service. 3) Le plus gros de mon travail a été jusqu'ici accompli au profit du BOA Nord de Deshayes, que mes émissions ont sorti du marasme où il était plongé - dû au manque de communications - avant notre arrivée. 4) Il partage mon impatience envers le BOA Nord, dont l'incompétence bordélique est l'obstacle majeur à l'accomplissement de notre mission. 5) Il regrette mon manque de tact, mais il le comprend bien[48].
D'autres messages donnent à Gries des objectifs à saboter: raffineries d'alcool, dépôts de cuirs, de caoutchouc, de chiffons. Mais il n'a pas le soutien nécessaire pour réaliser ces actions.
Londres nous apprend que l'avion qui s'est présenté dans la nuit du 10 au 11 décembre pour y parachuter du matériel radio à nous destiné n'a trouvé personne pour le recevoir sur le terrain DOUBS. Et qu'une erreur de largage lors de la même opération à la lune suivante a fait qu'une équipe anglaise a reçu ce qui était pour nous.
Sur le terrain COUESNON aussi, du matériel nous est arrivé, mais il a été remis à une autre équipe de transmissions.
Le moral vole bas. Cette guerre devient emmerdante. Rien à voir avec l'aventure des jeunes illuminés de 1940, que les sains d'esprit savaient alors sans espoir. Les amateurs fantaisistes de la France Libre sont submergés par les "professionnels" de la France Combattante, par les militaires giraudistes[49] en mal de repeindre leur image de vaincus, par les gens raisonnables qui découvrent que la résistance peut rapporter gros, par les obsédés de la hiérarchie et de la domination, par les habiles qui entendent croquer les marrons que d'autres ont tirés du feu[50]...
Fin janvier 1944, je suis toujours les mains nues, las de ne rien faire. Depuis notre arrivée il y a quatre mois le BOA ne nous a pas donné un seul poste émetteur, les mouvements de résistance pas fourni un seul point d'émission ou de logement pour établir les services du Délégué Militaire Régional, mon patron. Le seul travail que j'ai été en mesure d'accomplir a été pour le compte du BOA.
Je ne comprends pas bien ce qui se passe. Un radio est trop subalterne - même si sans lui le répertoire de tous ces ténors de la Résistance serait bien mince - pour prendre part à ces querelles qui agitent les chefs[51]. Se battre contre les Allemands au milieu de l'hostilité de ses compagnons d'armes, c'est quand même beaucoup. Mon dieu, protégez-moi de mes amis, mes ennemis, je m'en charge...
J'en ai marre. Je demande mon retour à Londres[52]. Je suis dix-neuvième sur la liste d'embarquement pour les opérations d'atterrissage. Si ça marche comme les parachutages...
En attendant mon envol je glandouille dans Paris, puisqu'il n'y a rien à faire pour le bon radio que je crois être[53].
Les raids aériens sont de plus en plus fréquents, anglais la nuit, américains le jour. Debout sur la place de la Concorde, j'aperçois hauts dans le ciel, vers l'Ouest - Renault la cible? - des formations de bombardiers entourées des petits nuages de la DCA. Grondement confus des moteurs et des explosions. Nous sommes plusieurs à regarder le spectacle. Un cri, mi-gémissement mi-soupir: un avion vient d'être touché, coupé en deux, sa queue tombe assez vite, et l'aile, feuille morte argentée, tourne et brille dans le soleil, oscille, se balance, menace de sa gesticulation les deux ou trois parachutes qui se sont ouverts...
Minuit dix. Le couvre-feu commence à minuit. Je sors de la station de métro Abbesses. Je reviens du cinéma et, bêtement, je n'ai pas fait attention à l'heure. J'ai quand même une bonne chance d'arriver avenue Junot sans histoire: il n'y a guère de patrouilles allemandes sur la colline de Montmartre.
Devant le Moulin de la Galette, deux flics. Ils m'interpellent. Papiers. Questions. Je n'aime pas leurs gueules. Leur nuit est longue et toutes les distractions sont bonnes pour passer le temps. Ces deux connards ont l'intention de m'emmerder.
Tap tap tap: écho, qui se rapproche, de semelles de bois[54]sur le trottoir, une silhouette féminine vient de tourner le coin de la rue, à cinquante mètres. C'est plus amusant que moi. Les forces de l'ordre me laissent tomber et courent, pèlerines flottant derrière eux, vers la jupe.
Cordier, qui m'héberge toujours à la mi-février 1944, dit qu'à la suite d'arrestations autour du Secrétariat il fait malsain, et qu'on devrait se mettre au vert une ou deux semaines. Je raconte la chose à Fassin, et je lui dit que j'étais las de courir les risques de la clandestinité pour du beurre, que je ne serais pas fâché d'une dizaine de jours de repos, à l'abri, s'il n'a toujours pas de poste émetteur pour moi, ni d'opération d'atterrissage mûre, pour mon retour en Angleterre. Il n'y a rien et il pense que ça n'est pas une mauvaise idée de saisir, comme ça, quelques jours. Daniel invite Simone, belle et fidèle courrier de SECNORD, au Cap d'Antibes, où Roger Vailland a une maison qu'il prête à Daniel.
Pas un chat sur la Côte d'Azur, les plages sont minées, entourées de barbelés. C'est les vacances. Daniel aux journées interminables, toujours trop courtes, courant dès l'aube d'un rendez-vous à l'autre, avec encore des textes à coder alors qu'il tombe de sommeil tard dans la nuit, Daniel fait la grasse matinée, petit déjeuner au soleil sur la terrasse, soleil de février tout juste assez chaud pour se baigner dans ses rayons. [photo]
Non seulement nous n'avons rien à faire, mais la tension du danger a disparu. La menace permanente d'être arrêté chez soi au milieu de la nuit, de la malchance d'être pris dans une rafle de la police française visant à capturer le Juif, le réfractaire au travail obligatoire en Allemagne, la menace est à 1000 kilomètres. Sans doute y a-t-il alentour autant d'Allemands méchants, de clandestins qui complotent. Rien ne nous relie à eux: pas de rendez-vous, je n'attire pas l'attention avec mon agitation radio-électrique: nous sommes sortis de la guerre, détendus, nous respirons profondément. [photo]
Promenade dans l'arrière pays. Un vigneron, éleveur de raisin de table, nous montre sa grange ingénieuse: à perte de vue des étagères avec dessus des bocaux remplis d'eau et d'un peu de charbon de bois. Des fils de fer soutiennent les grappes de raisin, la queue dans l'eau. Ça permet de bien les mûrir et de les conserver au-delà de la saison normale, et ainsi d'en obtenir, lorsque la paix règne, un bon prix. Il y en a là des tonnes, et pas un acheteur, sauf moi qui fais l'emplette d'un kilo et l'offre à Simone. [photo]
Excursion jusqu'à Monte-Carlo, quasi désert. Les gens riches ont les moyens de s'éloigner davantage de la guerre. Mais le casino est ouvert. Aucun de nous n'a jamais joué. On va voir? À la porte, je suis bloqué par un garde qui dit que je ne suis pas majeur, donc interdit d'entrée. C'est vrai que mes papiers d'identité n'avouent que 17 de mes 23 ans.
Retour méfiant à Paris, où je retrouve Fassin. Daniel Cordier doit rentrer en Angleterre. Vingt-et-un mois se sont écoulés depuis son parachutage. Il passera sans doute par l'Espagne.
Pour Fassin les difficultés continuent: manque d'argent, de matériel, soutien inexistant[55]. Malgré tous les obstacles, il se démène. Début mars 1944 il trouve, enfin, un contact en Seine-Inférieure pour Michel Gries[56]. ROCHET y a quelques petits maquis. Dans celui de Buchy, Michel trouve une équipe à instruire. Puis une autre, sous les ordres de M. Flambard, propriétaire d'une scierie à Neufchâtel-en-Braye.
Travaux pratiques: fin mars, avec André Mallet et trois hommes de Buchy, Michel emprunte la traction avant de ROCHET pour aller à Dieppe un soir. Ils font sauter le cylindre droit[57] de seize locomotives dans le dépôt, et s'en reviennent sans encombre[58.]
Pour la radio aussi, ça semble aller mieux. Fassin trouve à Lille, fin février, un contact[59]. Il me demande d'aller reconnaître des emplacements pour que l'opérateur promis par Londres puisse s'y glisser à son arrivée.
Evidemment j'accepte. Y aurait-il, enfin! moyen de travailler? Navette entre Paris et Lille. C'est aléatoire, les chemins de fer sont une cible favorite de tous: saboteurs, pilotes de chasse et mitrailleurs de bombardiers, sans compter les bombardiers eux-mêmes [60]...
L'inspecteur des transmissions Fleury nous annonce la venue d'un opérateur radio, GALLOIS, pour me remplacer. Il vient de la zone Sud où une vague d'arrestations a menacé sa sécurité.
Peut-être découragé, comme moi, par le manque de matériel et d'organisation, GALLOIS refuse de travailler et disparaît[61].
Le 15 mars 1944, deux agents parachutés de Londres, CHARRUE et FAUCHEUSE, venus pour être adjoints de Fassin pour le sabotage, et qui lui apportaient un million de francs, du courrier, des plans de transmissions et des codes, se font prendre dans le métro par la Feldgendarmerie[62].
Le BCRA à Londres, sans doute toujours surmené, énervé, continue sa gesticulation télégraphique par le truchement du Broadcast. Les messages futiles se succèdent. Alors que nous essayons de rétablir un contact radio avec eux, Fassin reçoit un télégramme[63] annonçant que je n'ai plus aucune mission de leur part! . Fassin répond[64] que je suis en train de travailler pour lui, et qu'il n'a personne d'autre. Mais l'espoir de se servir de ces emplacements s'estompe: Fassin à Londres. 22.3.44: "...Par suite accidents opérations successifs et mauvaise volonté BOA ne suis encore possession aucun appareil émetteur aucun plan".
Les jours passent, les promesses ne se réalisent pas. Je suis de plus en plus las de la pagaille et des conflits stériles des trois derniers mois.
Le 1 avril 1944 Fassin, et Solange sa secrétaire, sont arrêtés à Paris, dans la Brasserie St. George, rue Notre-Dame de Lorette.
A Lille, le 4 avril, je ne l'ai pas encore appris. J'attends dans un café en face de la gare l'heure du train qui doit me ramener à Paris pour les rejoindre. J'ai encore en poche les télégrammes que j'avais apporté dans l'espoir de pouvoir les transmettre...
Chapitre sept: Geheime Feld Polizei